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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 20:02

L'armée loyale à Laurent Gbagbo craque de toutes parts face à l'offensive des troupes d'Alassane Ouattara. Des généraux aux soldats, tous ne sont pas prêts à mourir pour leur dieu.

arme-gbagbo.jpgLes incessants coups de fil, SMS et courriels que je recevais depuis la fin de la matinée de ce jeudi 31 mars ont fini par me dissuader de faire ma sacro-sainte sieste, l’une des coutumes de chez moi que je revendique le plus fortement et que j’emporte avec fierté partout où je vais dans le monde. J’ai même failli rater le dîner. Il y avait de quoi. Les nouvelles allaient très vite en Côte d’Ivoire et il ne fallait pas les rater.

Le général Mangou, chef d’état-major de l’armée ivoirienne, se serait réfugié à l’ambassade d’Afrique du Sud avec toute sa famille; les généraux Kassarété, chef de la gendarmerie nationale, et Dogbo Blé, patron de la garde républicaine, se seraient réfugiés à l’hôtel du Golf où se trouvent le président élu de la Côte d’Ivoire et l’ensemble de son gouvernement, lequel hôtel aurait été libéré par les forces de Laurent Gbagbo qui en avaient fait le blocus; le patron du Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos) serait tué; les Forces nouvelles de Soro Guillaume seraient aux portes d’Abidjan, puis dans Abidjan; la police et la gendarmerie se seraient ralliées au chef de l’Etat; il y aurait des combats ici et là; Gbagbo serait sur le point de céder, Simone s’y opposerait; Blé Goudé serait refugié dans une ambassade… Les nouvelles allaient vraiment vite. Et l’on ne savait pas encore comment distinguer le faux du vrai, la vraie information de la rumeur. Mais elles traduisaient toutes une seule chose. L’armée de Laurent Gbagbo n’avait pas réussi à freiner l’avancée des forces soutenant Ouattara, le chef de l’Etat ivoirien.

Depuis trois jours, lorsque l’on avait annoncé le début de l’offensive générale, nous, Ivoiriens de l’extérieur, avions tous une oreille collée aux postes de radio, une autre à nos téléphones, et les yeux rivés sur les chaînes de télévision et les sites internet qui donnaient des nouvelles de la Côte d’Ivoire. Et nous avions tous suivi la chevauchée fantastique des Forces nouvelles vers Daloa, San Pedro, Yamoussoukro, Abidjan. Il y eut très peu de combats avant Abidjan. Partout, nous disait-on, les forces loyalistes à Laurent Gbagbo avaient refusé de se battre en hissant un drapeau blanc, en se ralliant à leurs assaillants ou en prenant tout simplement la poudre d’escampette. C’était donc cela l’armée de Laurent Gbagbo dont tant de personnes avaient si peur? C’était donc cela la fameuse bataille que tout le monde redoutait depuis 2002?

En 2002, lorsque la crise avait éclaté et que les forces internationales s’étaient interposées entre l’armée ivoirienne et les rebelles, de nombreux soldats, appuyés par les durs du régime de Laurent Gbagbo tels que son épouse Simone ou le président de son parti Affi N’guessan, avaient dit que la guerre qui avait été évitée à cette occasion aurait nécessairement lieu un jour. Et tout le monde redoutait que ce moment ne soit arrivé, à l’occasion de la crise post-électorale et des violences qui en avaient découlé. Mais il n’y eut pas de combat, faute de combattants, ou si peu, du côté de Laurent Gbagbo. Personne ne fut donc prêt à mourir pour lui? Quelle armée avait-il donc?

L'armée d'Houphouët

Remontons un peu dans l’histoire de cette armée ivoirienne. Elle n’est pas longue. Après l’indépendance, Houphouët-Boigny choisit de confier la défense de son pays à la France à travers les accords de défense. Son armée, elle, servait surtout à le protéger contre ses opposants, qui étaient essentiellement des enseignants et étudiants. Elle réprima plusieurs grèves et de nombreux enseignants syndicalistes, dont un certain Laurent Gbagbo, séjournèrent plusieurs fois, du fait de leurs opinions ou de leurs actions syndicales, non pas en prison, mais dans des camps militaires.

Vers la fin des années 1970, Houphouët-Boigny décida de faire de ses officiers grassement payés autre chose que des gardiens de syndicalistes un peu trop turbulents, et il en nomma plusieurs sous-préfets, préfets ou directeurs d’administration. On disait joliment à cette époque que l’armée devait être au service du développement. L’armée ivoirienne avait des avions, des bateaux, des tanks, tout ce qui faisait une armée moderne. Mais la Côte d’Ivoire n’avait pas d’ennemis, disait-on. Les avions servaient juste à faire savoir qu’on en avait, et les bateaux à offrir des balades sur la lagune d’Abidjan à ceux qui pouvaient payer une certaine somme qui entrait dans les poches des officiers. Et ces derniers devinrent des hommes d’affaires prospères, des gros planteurs, des fermiers, des gérants de maquis, de boîtes de nuit, et ils prirent tous de l’embonpoint. L’armée ivoirienne faisait des manœuvres une seule fois par an, à l’occasion des manœuvres franco-ivoiriennes. On disait d’ailleurs que l’armée française connaissait mieux le territoire ivoirien que notre propre armée.

C’est en 1990 que la première emmerde pour Houphouët-Boigny vint de l’armée. Un groupe de jeunes gens qui avaient fini leur service militaire refusèrent de quitter l’armée. Pas pour l’amour de la patrie ou le métier des armes, mais parce que, dans l’armée, ils avaient de quoi bouffer et un toit sur la tête. Dehors, ils seraient confrontés au chômage qui frappait la majorité de la jeunesse ivoirienne.

Une autre fois, un groupe de soldats mata un peu trop sévèrement des étudiants à Yopougon. On parla de viols et d’étudiants défénestrés. Houphouët-Boigny dut créer une commission d’enquête qui conclut à la véracité des faits. Fallait-il sanctionner l’armée? Le vieux chef d’Etat répondit qu’on ne retourne pas son propre couteau contre soi-même, et l’armée ne fut pas inquiétée. Laurent Gbagbo et son parti manifestèrent un 18 février 1992 contre cette décision et il fut emprisonné avec sa femme, son fils, et plusieurs de ses partisans. Dans une vraie prison cette fois-ci.

Coup d'Etat et rébellions

Après la mort d’Houphouët-Boigny, Bédié continua à confier la sécurité de son pays à la France. Il envoya cependant quelques-uns de ses soldats dans une mission de l’ONU en Centrafrique. Mal lui en prit. A leur retour, ils exigèrent de toucher l’argent qu’on leur avait promis mais dont ils n’avaient pas vu la couleur, et leur mouvement déboucha sur le coup d’Etat de décembre 1999. Il y eut les dix mois chaotiques du régime militaire de Robert Guéï où les soldes des soldats furent considérablement augmentées, puis l’avènement de Laurent Gbagbo.

En février 2001, il y eut une attaque venue du Nord qui fut repoussée par l’armée dans des conditions que personne à ce jour ne peut expliciter, puis la rébellion de septembre 2002. Les villes de Korhogo et Bouaké qui abritaient d’importantes bases militaires furent rapidement prises. Abidjan résista. Les rebelles se replièrent sur le Nord, et les Français et les forces de l’ONU vinrent s’interposer entre les belligérants. Les forces armées ivoiriennes dirent qu’elles auraient mis une raclée aux rebelles si on ne les en avait pas empêchées. D’autres voix dirent qu’elles furent plutôt sauvées de la déroute par les forces d’interposition. Toujours est-il que la tentative de libération de la ville de Bouaké que tenta l’armée de Gbagbo se solda par un échec. Chacun resta sur ses positions.

Gbagbo recruta en toute hâte des jeunes gens essentiellement issus de sa tribu pour renforcer son armée défaillante, et qui de leur côté croyaient trouver là un moyen de se faire de l’argent. Et ils découvrirent avec effarement qu’être soldat signifiait aussi que l’on pouvait mourir en allant faire son boulot. Abidjan a brui pendant des années des histoires de ces soldats qui s’étaient tiré des balles dans le pied, dans la cuisse ou dans le bras pour ne pas aller au combat. Ils s’étaient enrôlés dans l’armée pour avoir de quoi vivre. Pas pour mourir. Et ce furent les civils qui trinquèrent. De part et d’autre.

Les civils en première ligne

La combativité des deux forces, celle de Gbagbo et celle de la rébellion, s’exerça surtout sur les populations civiles désarmées. On ne compte plus les exactions qu’elles commirent sur les populations sur lesquelles elles régnaient. Un jour, Blé Goudé, que l’on avait surnommé le général de la rue, décida d’envoyer ses «soldats», c’est-à-dire ses «jeunes patriotes», libérer le Nord. Ils réquisitionnèrent des cars, s’arrêtèrent à Yamoussoukro, vidèrent les bières dans les bars de la ville, battirent les gérants qui osèrent leur réclamer de l’argent et rentrèrent à Abidjan. On le sait, les principales victimes des armées africaines ont toujours été les civils qu’elles sont chargées de protéger. A Abidjan, l’armée passa le plus clair de son temps à exiger le paiement de ce qu’elle appelait les «primes de guerre» et que les Ivoiriens avaient baptisées «les haut les cœurs». Au point où Gbagbo finit par s’énerver un jour et leur dit vertement qu’ils n’avaient rien à réclamer alors qu’ils n’avaient pas gagné la guerre.

En 2004, des soldats prirent la télé pour exiger qu’on les laisse aller libérer le Nord du pays, et aussi le limogeage du chef d’état-major. Ils ne furent pas sanctionnés. Au contraire, Gbagbo les écouta et tenta de libérer le Nord de son pays par la force. Le chef des opérations était le colonel Philippe Mangou. Il envoya des bombes sur Bouaké et Korhogo. L’une d’elles s’égara sur le camp français de Bouaké et la guerre devint pendant un moment franco-ivoirienne. Ce qui est sûr est que la reconquête du Nord fut un échec. Et celui qui avait mené l’opération fut nommé chef d’état-major de l’armée. Et son prédécesseur, Mathias Doué, qui s’était opposé à l’opération disparut dans la nature. Philippe Mangou fut nommé général de brigade en 2005, général de division en 2007, et général de corps d’armée en 2010. Une si fulgurante ascension sans avoir gagné une seule bataille, il fallait le faire. On connaissait surtout de Mangou sa grande élégance et sa propension à se faire voir à la télévision pour tout et pour rien. On parlait aussi de ses nombreux biens immobiliers et autres. La Côte d’Ivoire se mit à bruire de rumeurs sur les grosses sommes que Laurent Gbagbo distribuait aux officiers de l’armée ivoirienne, pour s’assurer leur soutien.

«Si je tombe, vous tombez aussi»

Lorsque Laurent Gbagbo décida de s’accrocher au pouvoir, Philippe Mangou lui fit aussitôt allégeance. Le 7 août 2010, lors de la célébration du cinquantenaire de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo avait regardé ses officiers droit dans les yeux et leur avait dit: «Si je tombe, vous tombez aussi.» Le camp du président élu tenta de retourner Philippe Mangou. Il fit savoir que jamais il ne trahirait son mentor. On raconte qu’il expliqua que Gbagbo lui avait déjà donné plus d’argent que le nouveau président ne pourrait lui en donner.

Et son armée? On disait depuis longtemps qu’il y avait trois armées dans l’armée ivoirienne: celle de l’ancien président Bédié, celle de Ouattara, le nouveau président, et celle de Gbagbo. Pendant longtemps, la presse proche de Gbagbo annonçait une tentative de coup d’Etat dans laquelle des officiers seraient impliqués pratiquement chaque semaine. C’était un bon moyen pour amener les officiers à se méfier les uns des autres. Gbagbo avait divisé son système sécuritaire en plusieurs groupes dont aucun n’avait les moyens de dominer les autres. Mais lequel était prêt à mourir pour lui? On parla de sa garde républicaine composée en majorité de membres de sa tribu. On parla aussi du Cecos, de la gendarmerie, de mercenaires, angolais ou libériens, de miliciens. Tous ces groupes se déchainèrent… contre les civils. Le Cecos se mit à enlever tous ceux qui étaient opposés à la tentative de hold-up électoral de Gbagbo et à les assassiner, des femmes furent mitraillées dans la rue, des obus lancés sur des marchés, et bientôt les morts se comptèrent en centaines.

L’on apprit que de nombreux soldats s’étaient rangés du côté des forces fidèles au chef de l’Etat, pendant que d’autres avaient tout simplement disparu dans la nature pour ne pas avoir à se battre. Les forces de Gbagbo régnèrent en maître sur la ville d’Abidjan jusqu’à l’apparition du fameux commando invisible qui les chassa du quartier d’Abobo. Tout le monde misa sur le moment où Laurent Gbagbo n’aurait plus rien pour payer ses forces pour les voir le lâcher. Car l’armée était à l’image de la société ivoirienne. Son seul moteur était l’argent.

Les troupes fidèles à Ouattara ont-elles attendu que Gbagbo soit fauché avant de passer à l’attaque? C’est possible. Quelques jours avant l’assaut final, Blé Goudé avait appelé ses fidèles à s’enrôler dans l’armée. Il y eut beaucoup de volontaires. Leur distribua-t-on vraiment des armes? On n’en sait rien. Toujours est-il que lorsque l’attaque des Forces nouvelles fut lancée, on assista à de spectaculaires déloyautés de la part des forces dites loyales. Presque tous les officiers dont on désespérait du ralliement regagnèrent en une journée l’hôtel du Golf ou se cachèrent dans des ambassades. Ils avaient décidé de laisser Gbagbo tomber tout seul. Et on ne vit aucun des «jeunes patriotes» qui affirmaient quelques jours plus tôt être prêts à mourir pour leur dieu Gbagbo. Le crier devant les caméras des télévisions est une chose, mais aller mourir pour de vrai pour un pouvoir que personne au monde ne veut voir en peinture en est une autre.

Source: Venance Konan

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